
La discrimination dans les marchés publics constitue une atteinte grave aux principes d’égalité et de libre concurrence. En France, un arsenal juridique conséquent vise à prévenir et sanctionner ces pratiques illégales. Cet encadrement strict s’inscrit dans une volonté de garantir l’intégrité des procédures d’achat public et de promouvoir une concurrence loyale entre les opérateurs économiques. Quelles sont les formes de discrimination prohibées ? Quels sont les mécanismes de contrôle et les sanctions encourues ? Examinons en détail le dispositif mis en place pour lutter contre ce phénomène.
Le cadre juridique de la non-discrimination dans les marchés publics
Le principe de non-discrimination dans les marchés publics trouve son fondement dans plusieurs textes juridiques fondamentaux. Au niveau européen, l’article 18 de la directive 2014/24/UE pose clairement l’interdiction de toute discrimination dans la passation des marchés. En droit interne, le Code de la commande publique reprend et précise ce principe à travers plusieurs dispositions.
L’article L3 du Code de la commande publique énonce ainsi que « Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique ». Cette égalité de traitement implique une interdiction absolue de toute forme de discrimination, qu’elle soit directe ou indirecte.
Le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser la portée de ce principe dans sa jurisprudence. Dans un arrêt du 10 février 2010, il a rappelé que « le principe d’égalité de traitement entre les candidats et la liberté d’accès à la commande publique imposent à l’acheteur public de ne pas opérer de discrimination entre les candidats dans l’examen des offres ».
Au-delà de ces principes généraux, le Code de la commande publique détaille les règles applicables à chaque étape de la procédure de passation des marchés publics. Il encadre notamment :
- La définition des spécifications techniques
- Les critères de sélection des candidatures
- Les critères d’attribution du marché
- Les conditions d’exécution du contrat
À chacune de ces étapes, l’acheteur public doit veiller à ne pas introduire d’éléments discriminatoires qui favoriseraient indûment certains opérateurs économiques au détriment d’autres.
Les formes de discrimination prohibées dans les achats publics
La discrimination dans les marchés publics peut revêtir de multiples formes, parfois subtiles. Il convient d’identifier les pratiques prohibées pour mieux les prévenir et les sanctionner.
La discrimination directe est la plus évidente. Elle consiste à traiter de manière moins favorable un candidat en raison d’un critère prohibé par la loi, comme l’origine, le sexe, les opinions politiques ou l’appartenance syndicale. Par exemple, écarter systématiquement les offres d’entreprises étrangères constituerait une discrimination directe manifeste.
La discrimination indirecte est plus insidieuse. Elle résulte de l’application d’une disposition, d’un critère ou d’une pratique apparemment neutre, mais susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour certaines catégories de candidats. Ainsi, exiger une certification nationale spécifique non justifiée par l’objet du marché pourrait être considéré comme une discrimination indirecte à l’égard des entreprises étrangères.
Parmi les formes de discrimination fréquemment observées, on peut citer :
- La discrimination géographique
- La discrimination liée à la taille de l’entreprise
- La discrimination fondée sur l’expérience antérieure avec l’acheteur
- La discrimination liée aux labels ou certifications
La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de se prononcer sur ces différentes formes de discrimination. Dans l’arrêt Contse du 27 octobre 2005, elle a par exemple jugé discriminatoire une clause qui accordait un avantage aux soumissionnaires disposant déjà d’installations dans la zone géographique concernée par le marché.
Il est à noter que certaines différences de traitement peuvent être admises si elles sont objectivement justifiées et proportionnées à l’objectif poursuivi. L’acheteur public doit cependant être en mesure de démontrer la nécessité et la proportionnalité de telles mesures.
Les mécanismes de contrôle et de prévention
Pour garantir le respect du principe de non-discrimination, plusieurs mécanismes de contrôle et de prévention ont été mis en place.
En amont, la formation des acheteurs publics joue un rôle crucial. La Direction des Affaires Juridiques du ministère de l’Économie propose régulièrement des guides et des formations pour sensibiliser les acheteurs aux bonnes pratiques et aux risques de discrimination.
Lors de la passation du marché, la publicité et la mise en concurrence constituent des garde-fous essentiels. L’obligation de publier les avis de marché et de respecter des délais minimaux de réception des candidatures et des offres vise à garantir une égalité d’accès à l’information pour tous les opérateurs économiques.
Le contrôle de légalité exercé par les préfets sur les marchés des collectivités territoriales permet également de détecter d’éventuelles discriminations. En cas d’irrégularité constatée, le préfet peut saisir le tribunal administratif pour faire annuler la procédure.
Les juridictions administratives jouent un rôle central dans le contrôle du respect du principe de non-discrimination. Le référé précontractuel, prévu à l’article L551-1 du Code de justice administrative, permet à tout candidat évincé de contester la régularité de la procédure avant la signature du contrat. Le juge dispose alors de pouvoirs étendus pour suspendre la procédure ou annuler les décisions irrégulières.
Enfin, l’Autorité de la concurrence peut être amenée à intervenir lorsque des pratiques discriminatoires sont susceptibles de fausser le jeu de la concurrence sur un marché. Elle dispose de pouvoirs d’enquête et de sanction importants pour lutter contre ces pratiques anticoncurrentielles.
Les sanctions applicables en cas de discrimination avérée
Lorsqu’une discrimination est établie dans le cadre d’un marché public, diverses sanctions peuvent être prononcées, tant à l’encontre de l’acheteur public que des opérateurs économiques impliqués.
Sur le plan administratif, la principale sanction consiste en l’annulation de la procédure de passation du marché. Cette annulation peut être prononcée par le juge administratif, soit dans le cadre d’un référé précontractuel, soit à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir. Les conséquences d’une telle annulation sont lourdes, puisqu’elle oblige l’acheteur à recommencer l’intégralité de la procédure.
Dans certains cas, le juge peut également prononcer la résiliation du contrat déjà conclu, si celui-ci a été signé en méconnaissance des règles de non-discrimination. Cette sanction, particulièrement sévère, n’est généralement prononcée qu’en cas de violation grave des principes fondamentaux de la commande publique.
Sur le plan pénal, le délit de favoritisme, prévu à l’article 432-14 du Code pénal, peut être retenu lorsque la discrimination vise à avantager indûment certains candidats. Ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 euros d’amende, peines pouvant être portées à sept ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.
Les opérateurs économiques qui auraient bénéficié de pratiques discriminatoires peuvent également faire l’objet de sanctions. Outre l’annulation du contrat, ils s’exposent à :
- Des sanctions financières prononcées par l’Autorité de la concurrence
- Une exclusion des procédures de passation des marchés publics pour une durée maximale de 3 ans
- Des poursuites pénales pour recel de favoritisme ou corruption
Il convient de souligner que la responsabilité de l’acheteur public peut être engagée en cas de discrimination avérée. Les candidats lésés peuvent ainsi demander réparation du préjudice subi, notamment la perte de chance d’obtenir le marché.
Vers une meilleure prévention des discriminations dans les marchés publics
Face à la persistance de pratiques discriminatoires, de nouvelles pistes sont explorées pour renforcer la prévention et la détection des discriminations dans les marchés publics.
L’une des voies prometteuses réside dans le développement de l’open data appliqué à la commande publique. La mise à disposition en libre accès des données relatives aux marchés publics permettrait un meilleur contrôle citoyen et faciliterait la détection d’éventuelles anomalies statistiques révélatrices de pratiques discriminatoires.
Le recours accru aux technologies numériques dans la passation des marchés publics offre également de nouvelles opportunités. Les plateformes de dématérialisation des procédures peuvent intégrer des outils d’analyse automatisée pour détecter les critères potentiellement discriminatoires dans les documents de consultation.
La formation continue des acheteurs publics demeure un axe prioritaire. Au-delà des aspects juridiques, il s’agit de développer une véritable culture de l’égalité de traitement et de la diversité dans la commande publique.
Enfin, certains acteurs plaident pour un renforcement du cadre légal, notamment en introduisant des mécanismes de class action permettant aux associations de lutte contre les discriminations d’agir en justice au nom des opérateurs économiques lésés.
La lutte contre les discriminations dans les marchés publics s’inscrit dans une démarche plus large de promotion de l’intégrité et de la transparence de l’action publique. Elle contribue non seulement à garantir une concurrence loyale entre les opérateurs économiques, mais aussi à renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions.